Description
Tout gravite, dans ce livre, autour de quelques vérités premières qu’on qualifie dédaigneusement de « lieux communs ». Le mot commun est ambigu : il signifie banalité, platitude., et il évoque aussi l’idée de communication, de communion. Le foyer, la fontaine.l’Église. la patrie sont des lieux communs. L’ agora d’Athènes où enseignait Socrate était un lieu commun. De meme les trésors de la sagesse populaire dont nous oublions le sens dans la mesure où nous en connaissons trop bien la formulation. « Il faut repenser les lieux communs disait Unamuno, pour les délivrer de leur maléfice. » Il faut : par la réflexion, retrouver la fraîcheur, la fécondité originelles de ces pauvres mots déflorés, stérilisés par le piétinement moutonnier de l’habitude. Le premier devoir du philosophe est de dépoussiérer les vérités premières...
L’équilibre concerne uniquement la quantité, la pesanteur, les rapports de force. L’harmonie implique la qualité et la convergence des qualités vers une fin commune.
La névrose égalitaire qui agite notre époque s’explique par l’oubli de cette distinction essentielle. Le principe d’égalité qui s’exprime par la loi du nombre concerne uniquement la quantité et ne laisse place qu’aux rapports de force entre des êtres et des groupes qu’aucun lien interne ne relie entre eux. D’où le conflit, érigé en loi permanente des sociétés, la généralisation de la violence, qui devient de plus en plus le seul moyen de se faire entendre et d’obtenir satisfaction. Ce qui produit des déséquilibres en chaîne auxquels on essaye de remédier par des concessions et des compromis. Et c’est pour cela que les responsables de la Cité — depuis le père de famille ou le professeur jusqu’à l’homme d’État — évoquent l’image de l’équilibriste plutôt que celle de l’accordeur.
L’équilibrisme a fait son temps : nous n’avons le choix qu’entre les deux termes de cette alternative : restaurer par l’harmonie un ordre vivant ou nous laisser imposer un ordre mort et mortel par une force sans âme qui annulera toutes les autres.